• Mes sources

    En dehors des documents dont j'ai hérité et des archives publiques, les récits de ma mère qui est morte en 1970, sont ma principale source.

    Mes parents parlaient souvent de leur histoire et ils ressassaient certaines anecdotes marquantes. Leur sélection d'événements variait peu. L'histoire de leur mariage m'a souvent été répétée par exemple, mais je n'ai jamais su qui était la première femme de mon père, comment ils s'étaient rencontrés... Ce n'est qu'à la fin de sa vie que René m'a raconté son divorce.

    Louis et Aimée étaient taciturnes, chacun à sa façon, Louis par habitude de garder ses sentiments pour lui, Aimée par manque de moyens d'expression. Les récits de Christiane étaient un écho de ceux de ma mère et la parentèle de ma grand-mère Germaine ne racontait rien du passé. Quant à René, il ne parlait du passé que pour exhaler brièvement sa rancœur au sujet de tel ou tel événement.

    Une exception: René et Louis prenaient plaisir à se remémorer ensemble la vie au Stalag: "tu te rappelles?" suivaient des anecdotes au sujet de pommes de terre, de charbon ou de menus larcins à l'atelier.

     

    Étiennette avait un réel talent de conteuse et donnait de la couleur à ses récits. Je l'écoutais parler de son enfance toutes proportions gardée comme je lisais Petite Princesse de Frances H. Burnett. Lors de ses "aventures", elle parvenait à se donner un beau rôle et à évoquer les victoires obtenues malgré l'adversité. Ce qu'elle racontait ne désespérait pas, au contraire cela donnait du courage.

    Sans Étiennette, je ne saurais pratiquement rien de mes ascendants dont elle a tissé une histoire aux personnages bien caractérisés: la méchante mère aux yeux envoûtants de sorcière (Germaine), l'instituteur de la laïque (mon arrière-grand-père), le rêveur distrait et farceur(Louis), le gentil musicien victime de sa mégère de femme (Armand), la pute reconvertie en coiffeuse (tante Suzanne), la morne moche et méchante grand-mère Aimée, l'obèse et monstrueuse Arlette Canot de Bouzy qui mangeait une omelette de 6 œufs au petit-déjeuner, les ennuyeux cousins presque suisses (Dahrmann), le riche grand-oncle etc.

    Ma mère savait raconter, y compris ma vie dont j'aurais préféré élaborer un récit plus personnel. Je me rappelle d'une rédaction que je devais rendre le lendemain et pour laquelle l'inspiration me manquait, j'étais en 4e et nous devions raconter des souvenirs d'enfance. J'ai demandé de l'aide. Maman m'a rédigé une introduction qui m'a valu des félicitations dont je me serais bien passée. En voici le début: "Il était une fois un manteau rouge...", le manteau rouge auquel je me pendais pour indiquer que je voulais me promener. Naturellement je ne rappelais plus  du manteau, ni de ce comportement. J'ai eu le sentiment de m'être fait greffer une autre enfance. 

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    Tout cela baignait dans une aura romanesque et restait pour moi assez souvent dans le vague. Certains personnages de ma famille étaient hors d'atteinte parce que morts, ou trop lointains comme la famille de Bouzy, ou bien tout simplement parce qu'ils n'exprimaient rien comme Germaine. Certains lieux étaient mythiques: Parthenay, l'ouest dont venait mon grand-père Armand, l'appartement de la rue Vercingétorix, d'autres à peine entrevus comme Bouzy. 
    Seul René aurait pu briser l'unité du récit de ma mère mais il n'était pas de force à lutter contre son verbe.

    Au moment de raconter ces histoires auxquelles je n'avais jamais vraiment repensé, je me suis demandé ce qui était vrai et ce qui avait été exagéré ou enjolivé pour une meilleure narration, pas inventé ou falsifié car Étiennette n'aurait jamais menti. C'est en tout cas ce que je crois jusqu'à présent.

    Par exemple mon arrière-grand-mère Marie Verdon est-elle vraiment sortie d'un orphelinat? Ou alors sa mère? Pour l'instant rien ne le corrobore. Mon grand-oncle Paul Maria magnétisait vraiment les vaches, je me souviens qu'il en avait parlé quand on était allé le voir. Et la tante Suzanne? je l'ai rencontrée souvent mais je n'ai jamais osé lui demander si elle s'était prostituée. En tout cas, elle est très jolie sur ses photos de jeunesse. Comme René n'a jamais contredit sa femme sur ce point, j'admets que ce point est établi...

    L'essentiel se vérifie et des zones d'ombre s'éclaircissent, je parviens à situer personnages et événements. J'intègre les résultats de mes recherches documentaires à mon histoire imaginaire ou l'inverse. Me raccrocher à une réalité me rassure.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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