• Entre conte et réalité: une autre histoire se dessine.

     

    Conte et réalité: une autre histoire se dessine.

    Je  demande des actes officiels pour reconstituer l'histoire de ma famille et peu à peu se révèlent les contours d'une histoire assez différente de ce qui se dégageait des récits de mes parents, le squelette reste le même mais elle est éclairée différemment. Je devrais plutôt parler de récit maternel car René se contentait d'écouter en approuvant parfois, en se taisant la plupart du temps.

    Voici ce que je croyais:  la naissance de René résulte du hasard d'une rencontre entre un soldat de retour de la guerre et d'une très jeune fille issue d'une famille de vignerons. S'ensuit une grossesse non désirée mais Armand assume ses responsabilités de père en abandonnant sa première famille dont on ne sait rien ou ne dit rien. Ce que j'apprends par le texte de son divorce prononcé en 1935, c'est qu'il n'a pas abandonné grand chose. En effet dès 1907, il vit séparé de sa femme dont il n'a eu aucun enfant. Alors qu'il cherche du travail à Paris, sa femme rentre dans sa famille à Rochefort et depuis ils vivent séparés.

    En premier lieu j'apprends que mon grand-père Armand descend d'une famille d'Angoulême et de Poitiers, cela au moins correspond au Récit maternel: grand-père Armand était censé "venir de l'Ouest" de la France. Tout le reste diffère. Je pensais à une famille classique qu'Armand sous le charme de sa jeune amante aurait délaissée,  alors que ce n'est pas ça, mais pas ça du tout. Armand était issue d'une famille peu stable et avec peu d'attaches. Fils d'un enfant de l'assistance publique, le père d'Armand avait divorcé alors que son fils était encore jeune. Il a fondé une deuxième famille avec beaucoup d'enfants, cousins lointains dont j'apprends l'existence fortuitement grâce à un site de généalogie. J'apprends aussi qu'Armand avait un frère Henri condamné pour proxénétisme et qu'il le fréquentait au point d'en faire le témoin de ses deux mariages successifs. De ce frère jamais il n'a été fait mention, j'ignorais son existence.  Je me demande même si ma mère en connaissait l'existence puisqu'elle n'en a jamais parlé. Les cousins champenois d'Aimée à Paris n'étaient donc pas seuls à faire partie plus ou moins du "milieu", le frère d'Armand aussi. René e grandi au contact de musiciens et d'une certaine pègre. J'ai toujours constaté que je me sentais à l'aise au sein des milieux marginaux,  imprégnation familiale peut-être.

    Je ne sais si cet Henri Victor a eu une descendance.

    Armand Victor était musicien et très gentil, voilà ce que j'en savais. Il regrettait d'avoir choisi le métier de musicien trop mal payé, trop précaire. Il semble devoir son éducation musicale à l'armée (ou en partie).

    Par sa fiche militaire, j'apprends qu'il est camionneur au moment de son enrôlement à l'armée, qu'il devient soldat musicien à l'armée comme son père Théodore. Son jugement de divorce précise qu'il a travaillé comme typographe en 1906/1907, typographe comme son père, avant de devenir comme lui musicien de profession. Cette ressemblance des trajectoires professionnelles donne à penser car Théodore semble avoir quitté la mère d'Armand aux alentours de ses 12 ans.

    Armand passait pour "trop bon", je n'imaginais pas ses qualités guerrières. Pourtant  il fait campagne à Madagascar au sein de la Coloniale, quitte l'armée pour se marier puis est enrôlé à nouveau en 1914. Ses états de service sont excellents comme courrier puis comme ambulancier et lui valent la médaille de guerre. Dois-je conclure de ces affectations spécifiques à des qualités particulières?

    Dernière précision, le domicile d'Armand est 1 rue Jules Guesde en 1935 (jugement de divorce), sans doute ce même logement de Montparnasse que j'ai connu toute mon enfance. Aimée y a habité ainsi plus de 40 ans. Même stabilité domiciliaire pour Louis et René Maria, ils conservent leur logement d'avant-guerre jusqu'à leur mort, A leur époque, y compris durant la guerre et l'occupation, il était possible de rester toute une vie de locataire dans un même logement (sauf biens juifs). A notre époque, cela semble impossible aux locataires et même à beaucoup de propriétaires.

    Étiennette n'a jamais fait d'allusion à la personnalité des parents de sa mère, aucun document ne subsiste en dehors de l'état civil, pas même une photo, il resteront imaginaires. Pour avoir rencontré dans mon enfance, des cousins de la branche maternelle de la famille, je n'en sais pas plus.

    Ces vieilles histoires n'existent plus que dans ma mémoire. Pourquoi alors rechercher une autre vérité? Existe-t-il une vérité? Eh bien, cela change au moins mon roman personnel. J'avais longtemps préféré l'oublier pour mon salut, c'était nécessaire car il agissait sur moi comme un destin, mais le reconsidérer avec un regard critique le dédramatise.

    L'histoire que maman m'a racontée tenait souvent du conte "de fées" ou du mélodrame car les personnages étaient archétypiques et hors du commun. Dans notre famille, on trouvait la  puissante et maléfique grand-mère Germaine, son mari faible, distrait, excentrique et lointain, Armand le bon musicien soumis à son épouse, une mégère égoïste et stupide, Étiennette la valeureuse enfant malheureuse protectrice de sa petite sœur dans l'adversité etc.

    Pressentant l'étendue de ces simplifications, je croyais cependant connaître l'essentiel des événements car enfin, après avoir entendu parler de la cousine prostituée et de l'avortement à domicile de ma grand-mère Germaine, je ne voyais pas quel éventuel secret subsisterait encore. Or voici que de nouveaux éléments remanient le Récit.  Ainsi l'idéalisation d'Armand Victor en opposition avec la vulgarité d'Aimée et de sa famille ne tient plus. Armand ne sort pas d'un nuage romantique animé de nobles sentiments paternels. Il ne devient pas plus mauvais mais plus réel: ainsi il vivait dans un milieu certes artistique mais où on faisait la fête en côtoyant une certaine pègre. Il n'en reste pas moins un père aimant et le seul référent positif pour René, ce que je découvre est plutôt à son honneur.

    Il faut cesser d'idéaliser la famille "bourgeoise" mais déchue d'Etiennette. Pas si bourgeoise que ça, Louis est fils d'un couple d'instituteurs, Étiennette  est née comme René avant mariage. Une atmosphère d'excentricité, de mythomanie ou même de folie entoure son enfance. Elle l'a magnifiée en accentuant la richesse de leur intérieur avant la déchéance, il y avait des meubles Louis XVI, des bonnes et une gouvernante anglaise, disait-elle. Certes il y a eu du personnel mais rappelons que la famille vivait dans un trois-pièces au 5e étage sans ascenseur. Peut-être y avait-il une pièce de plus, je n'ai jamais tout visité. Comment ont-ils pu financer tout cela? Louis a été agent d'assurance, comptable, employé de bureau, d'où venait l'argent?

    Etiennette a exagéré le charme et l'intelligence de sa mère Germaine qui l'a fascinée. Elle en est venue à admirer sa méchanceté, sa "rosserie", Germaine était "mauvaise" avec distinction. La "distraction" pittoresque de son père, Louis ressemble assez à une fuite devant les problèmes, à du désintérêt pour sa famille sur un fond d'excentricité et de non conformisme discrets. Le Récit d’Étiennette rendait son enfance intéressante et romanesque, bien en opposition à la pauvreté de la vie étriquée de la famille Victor. Il fallait bien cela pour donner de la couleur et du relief à sa vie sacrifiée et à celle de sa sœur Christiane.

    Du roman! Les filles Maria ont retiré de leur éducation première un langage châtié, la connaissance de l'anglais pour Etiennette et de bonnes manières, mais elles n'ont jamais été insérées dans le milieu duquel elles se réclamaient. Et moi, j'ai dû assumer  un héritage bourgeois fantasmagorique, à partir de la culture de ma mère qui était réelle et qu'elle n'a pu acquérir qu'à force de lectures solitaires.

    Le Récit de leur enfance, maléfique au fond car empreint de fascination,  déroulé jour après jour ou plutôt dimanche après dimanche,* par ma mère m'a initiée à un monde imaginaire violent mais intense. La réalité fait antidote. Enfin un peu car c'est tard pour moi. Et qui s'en soucie d'autre?

     

    Conte et réalité: une autre histoire se dessine.

     

     *Dimanche après dimanche: parce que tante Christiane venait manger et qu'elles évoquaient ensemble leurs souvenirs.

     

    Crédits:

    Photo d'arbres: Ferran Jordà  Tales / Cuentos / Contes 2008Title: Little Red Riding Hood

    Little Red Riding Hood  Creator: Summerly, Felix, 1808-1882.  Date created: 1846

    Couffin: boutique de Blebys Made in Lille - France métropolitaine

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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