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Germaine Leroux, ma grand-mère maternelle
Son livret de famille est à son image: très abîmé.
Son histoire? De sa vie d'avant-guerre ne surnagent que très peu d'éléments fiables, elle même n'en parlait pas.
Selon l'histoire que m'a transmise ma mère, elle aurait été élevée dans un château dont son père était régisseur et sa mère cuisinière. Elle aurait été en pensionnat avec la fille des châtelains et en aurait gardé des habitudes au-dessus de ses moyens.Elle aurait été trop gâtée par ses parents, changeant de linge tous les jours. Je n'ai jamais entendu parler de ses parents, durant mon enfance, je n'en ai vu aucune photo.
A l'époque, je n'ai pas posé de questions pour approfondir et vérifier ce qu'il en a été vraiment . Germaine a pu inventer ce roman, elle en a inventé d'autres d'après ce qu'on m'a dit. J'aurais pu en savoir plus puisque nous fréquentions sa famille: Marcelle Leroux, Robert Urfer (Robert mon parrain, expert comptable à Houilles78), Madeleine et Maurice Dahrmann (lui aussi un comptable) et une vieille demoiselle qui avait un minuscule appartement triangulaire de deux pièces au 6e dans la pointe d'un immeuble.*
Tous ces gens la connaissaient et quand on l'évoquait, ce qui était rare, ils poussaient des soupirs. Son mari, Louis n'en disait pas plus. A l'époque, j'ai accepté la situation de cette grand-mère qui ne sortait pas et dont on parlait à peine.
En tout cas elle n'est pas née dans un domaine campagnard mais à Paris 17e. A 25 ans, lors de son mariage, son père, jardiner de son métier est déjà mort. Sa mère vivait-elle à Paris? La mère de Germaine, une cuisinière, n'intervient à aucun moment dans la vie de ma famille, je ne connaissais pas son nom.
Germaine déclare la profession de sténo-dactylo.
Ma mère me disait qu'elle plaisait aux hommes et les séduisait surtout par le regard de ses grands yeux.
Louis l'avait épousée malgré la désapprobation de ses parents et de son frère aîné René qui ne l'a jamais reçue chez lui. Par ce mariage, il légitimait ma mère, âgée d'un an et demi.
Elle aimait, semble-t-il, les plaisirs et dépensait au-delà de ses moyens. Elle n'était pas fidèle, son mari semble l'avoir accepté, jouissant lui-même de sa liberté. Ils avaient des relations mondaines, ils invitaient. Ils devaient être un peu excentriques. Une histoire que la famille aimait répéter, était celle de Louis jetant avec désinvolture un orvet au milieu de la table de réception garnie de cristaux, cris, cristaux brisés...
Louis était un père distrait et peu présent, il n'a pas dû être d'un grand soutien pour sa femme.
La deuxième fille de Germaine, Christiane, n'était pas de Louis. Très blonde, elle devait ressembler à son père dont elle a toujours ignoré l'identité. Elle a aimé à penser que c'était un officier de marine. Mais Germaine qui l'a envoyée en nourrice de la naissance à 3 ans (ou 5?) ne lui en a jamais rien dit de sérieux. Une fois,après la mort de Germaine, elle a rendu visite à la vieille parente dans son minuscule appartement du 6e étage et elle lui a dit qu'elle aurait tant aimé savoir à quoi son père ressemblait. "Quel dommage" lui a répondu cette vieille parente, "je viens de classer de vieilles photos, j'en avais une et je l'ai jetée!". Christiane me l'a raconté sur le coup.
Comment cette femme aimant plaire s'est-elle transformée en une espèce de souillon recluse? La guerre a représenté une césure avec la réquisition de Louis au STO en Allemagne près de Dresde, là où il a rencontré René.
Elle est restée seule dans Paris occupé avec ses deux filles et peu de ressources. Elle envoie Étiennette faire les courses à crédit chez l'épicière du coin, Mme Vander (peut-être un raccourci de van der quelque chose)**. Étiennette et Christiane ont bien besoin des biscuits caséinés de l'école et des soupes que leur donne Mme Vander. Elles ont faim mais Germaine nourrit d'abord les chiens. A-t-elle faim elle aussi? Étiennette donne des leçons malgré le couvre-feu pour rapporter un peu d'argent que Germaine prend.
Germaine ne fait pas le ménage, ses filles doivent le faire avant l'école depuis qu'il n'y a plus de bonne, Germaine s'occupe de chiens et de chats qu'elle présente à des concours ou fait présenter par ses filles, cela rapporte de l'argent. Elle envoie aussi ses filles vendre les animaux au marché au fleurs de l’Île de la Cité, un mauvais souvenir pour Étiennette.
Vivant seule avec ses filles, a-t-elle perdu toute limite? Elle n'a jamais été une tendre mère, désormais elle devient violente, sadique en paroles aussi.
A 16 ans, Christiane part faire le ménage comme employée dans une autre famille. Étiennette quitte la maison avant ses 21 ans en signalant à la police que sa mère l'avait maltraitée avec une entaille au front pour preuve.
Louis est rentré. Germaine continue à élever ses chiens et ses chats et laisse l'appartement se dégrader, personne ne l'entretient plus depuis que les filles sont parties. Louis a repris sa vie, cultive ses relations et voit sa famille sans sa femme qui reste à la maison. Elle boit peut-être mais je ne l'ai jamais constaté. Elle limite ses contacts sociaux au minimum et ne va jamais chez personne.On dit qu'elle ne se soigne pas et a peur des médecins.
Je ne l'ai jamais vue chez mes parents. Elle n'est pas venue à mon mariage en 1965. Les dernières fois que je l'ai vue, elle m'a invitée dans la brasserie au coin en bas de chez elle, je pense qu'elle préférait ne pas me montrer l'appartement.
Elle était aimable, elle avait une façon charmante de ne rien dire. Elle plaignait de façon un peu ironique Christiane qui lui rendait visite fidèlement,"cette pauvre Cricri", elle montrait plus de respect pour ma mère qui venait moins. Toujours souriante, elle n'exprimait jamais de sentiment. Devenue adulte, j'ai observé chez elle des signes de crainte devant le regard des gens et j'ai ressenti sa vulnérabilité.
Elle est morte en 1970.
*Il était dit que cette branche de la famille venait de Suisse. En tout cas c'est Germaine qui a apporté le protestantisme dans ma famille.
** Etiennette garde des relations avec Mme Vander par la suite. En revenant du Canada, elle me confie plusieurs mois à elle le temps de retrouver un logement au plus fort de la crise du logement.
« René un désir de revancheDu côté de l'avenue de la République, le grand balcon de la famille Maria »
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