• Etiennette, René, idéalisme et rationalisme

    À la maison, C'était ma mère qui parlait de politique. Mon père s'exprimait peu sur les sujets politiques ou sociaux, essentiellement pour se moquer des "Grands Discours". Son anti-communisme et son anti syndicalisme étaient aussi virulents que son anti catholicisme.  Ils méprisait rêveurs et  menteurs, tous pourvoyeurs d'illusions. Enfant, il m'a éclairée sur les ressort de la publicité et de la communication de marque, les consommateurs étaient si bêtes, disait-il qu'entre deux produits identiques mais présentés différemment, ils préféraient souvent acheter le plus cher.

    Le rationalisme  était censé gouverner notre vie. L'aménagement de la maison, de la cuisine surtout, devait répondre aux mêmes critères ergonomiques qu'un atelier. j'ai été marquée de cette empreinte et j'ai toujours aménagé mes cuisines aussi rationnellement que possible tout en choisissant quand je le pouvais, des logements biscornus au plan improbable.

    En dehors de sa haine des curés, des communistes, et de tous les beaux-parleurs, René n'avait aucun intérêt pour la politique pourvu qu'on ne compromette pas la production de richesses, mais il était plutôt progressiste dans les questions de société. Plus tard, quand Létang et Rémy où il avait fait sa carrière a été racheté par "la Marine", il a constaté que la gestion des grands groupes faisait fi du développement des projets d'une moyenne entreprise et il a été déçu de cette évolution.

    L'anticommunisme trouvait aisément des justifications. Nous avons été témoins de la répression de la révolte de Budapest en 1956. Le livre "Niki" de Tibor Déry figurait dans notre bibliothèque. Qui le voulait bien, était informé de la répression en URSS. Globalement, Étiennette admirait de Gaulle qu'elle associait à radio Londres, de Gaulle le libérateur de Paris. En 58, nous avons regardé la passation des pouvoirs à la télévision avec espoir.  En même temps ma mère avait des principes libéraux sans affinité avec un état autoritaire catholique.  J'entendais parler en bien de Mendès-France puis de Rocard, un protestant de surcroît.

    Etiennette m'avait élevée dans la vénération des résistants, fait lire "Le silence de la mer" de Vercors, tout en me faisant apprendre l'allemand, langue de culture et de civilisation dont le son n'était en rien guttural, expliquait-elle.  Plus tard j'ai entendu parler autour de moi de la guerre d'Algérie avec de la compréhension pour les déserteurs mais sans plus d'explications que ce que j'entendais aux informations. Le petit-fils de la dame du 4e avait déserté et vivait dans une grotte, on parlait de cette excentricité avec humour. Jean-Daniel, le fils aîné du pasteur que ma mère avait pris sous son aile, pouvait se sentir concerné par les ratonnades dans Paris, son physique pouvait le faire passer pour arabe, je crois que son homosexualité le mettait en relation avec des arabes aussi. Mais je n'en ai pas su grand chose. Jean-Daniel était politiquement plus impliqué sans être militant.

    Etiennette, René, idéalisme et rationalisme

    Étiennette était empreinte d'idéaux sociaux et politiques autant que de préjugés. Lorsque nous habitions Vincennes, durant mon adolescence, nous étions abonnés par elle au Nouvel Observateur, à Réforme, hebdomadaire protestant, nous lisions régulièrement le Figaro et Combat qui n'étaient pas du même bord. La Quinzaine Littéraire viendra après mon départ. Ainsi à la maison, je disposais d'un accès important à l'information et à la culture sans fréquenter d'autres personnes pour en parler que Jean-Daniel et ma mère.

    Sur le plan des mœurs, ma mère était progressiste, comme les protestants de l'église réformée l'étaient d'ailleurs. En accord avec ses principes mais avec naïveté, elle m'a procuré une contraception dès lors qu'elle m'a jugée en âge, avant que j'en aie besoin. C'était alors encore interdit  en France, les réseaux par lesquels il fallait passer étaient angoissants. Il fallait promettre de garder le secret et en cas de problème le médecin ne vous connaissait plus.

    L'éducation qu’Étiennette dispensait était empreinte d'un idéal de sincérité et de compréhension. Elle ne voulait pas que je courre les risques de l'adolescence en cachette. Elle ne voulait surtout pas de mensonges et de faux semblants entre nous. C'est ainsi qu'elle me proposa vers l'âge de 15 ans des Marlboros, cigarettes qu'elle fumait autrefois quand elle était jeune. J'en vins rapidement à fumer presque deux paquets par jours, un de Marlboro et un de Kool mentholées, cela représentait une somme d'argent de poche déraisonnable. Mais nous en arrivions aux années de la révolte adolescente en même temps que sa maladie s'aggravait. René, fuyait de plus en plus la maison et laissait faire.

    En 1968 j'ai conduit ma mère alors très malade dans la cour de la Sorbonne occupée. Elle a dit qu'elle était heureuse de voir cela avant de mourir. Bien qu'engagée dans le mouvement sans responsabilités, je ne partageais pas son enthousiasme: je voyais trop ce qui se passait. 

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