• Le tour de PoitiersL'hospice général de Poitiers

    Le tour de Poitiers « Rouen hospice general tour »

    par Velvet   CC BY-SA 3.0

    via Wikimedia Commons -

     

     

     

     

    En ce qui concerne mon patronyme, ma généalogie débute le soir du 5 octobre 1822 au tour de l'hospice de Poitiers. Alexis Victor y est déposé. Comme l'usage le veut, la préposée de l'hospice lui donne plusieurs prénoms dont l'un sert de nom de famille, ce sera Victor, un nom donné à l'époque à beaucoup d'enfants abandonnés dans la région de Poitiers. Voilà l'origine de mon nom.

    Les enfants déposés dans un tour avaient plus de chances de survie, ou moins de risques de mourir que les enfants exposés dans un lieu public.

    Le tour était un tourniquet ou une espèce de placard avec deux ouvertures dont l'une donnait sur la rue. Ce dispositif permettait d'y placer le bébé depuis la rue, de tirer une sonnette pour alerter le personnel et  s'en aller s'en être vu. Le tour de l'hospice général de Poitiers a été institué en 1811 et supprimé en 1856. Autour des années 1830, il y a des débats passionnés sur le maintien ou la suppression des tours. "Mémoires et procès-verbaux" d'un congrès scientifique à Poitiers qui a lieu en 1834 contient le procès-verbal de discussions représentatives de la problématique perçue à l'époque . Les aspects financiers et sanitaires de la prise en charge des enfants assistés y sont débattus avec une crudité inusitée de nos jours.

    Le tour de Poitiers

    Étant donné la répétition des naissances précoces et des divorces chez les Victor, je pouvais m'attendre à rencontrer des difficultés chez certains de leurs ascendants. Mais en lisant l'acte de naissance d'Alexis Victor, le père de mon arrière-grand-père,  j'ai eu un moment de sidération: la préposée de l'administration  présente le nouveau-né trouvé dans le tour de l'hospice, l'adjoint au maire note consciencieusement les pauvres vêtements qu'on a trouvé sur lui: deux mauvais langes, une brassière blanche usée en laine, une chemise en toile, une calotte d'indienne bleue à pois blancs et un mouchoir foncé. L'abandon du bébé s'incarne. J'imagine le petit Alexis et regarde des images de calottes bleues à pois blanc.

    A travers les récits de mes parents, j'avais suffisamment été familiarisée avec la violence familiale pour me sentir à l'aise dans mon activité professionnelle de plus de 10 ans à l'aide sociale à l'enfance, mais là c'était autre chose. Tout ce que j'avais appris durant ma formation sociale sur les enfants assistés: l'institution des tours, les prénoms donnés par l'administration, les placements en nourrice, venait à s'appliquer directement à mon ancêtre.

    Le tour de Poitiers

    Sur les raisons de l'abandon d'Alexis, il est vain de tenter des conjectures, la calotte à pois et le mouchoir ont pu être laissés par la mère en vue d'une possible reconnaissance ultérieure. Quoi qu'il en soit, le département de la Vienne, très pauvre, occupait la 6e position en France pour le nombre d'abandons en pourcentage de la population. Les enfants de l'assistance couraient grand risque de ne pas parvenir à l'âge adulte, cependant ils semblent avoir été relativement mieux traités dans la Vienne. En 1858, sur les 151 enfants de moins de 12 ans admis à l'hôpital général, 38% sont décédés, ce qui représente une mortalité inférieure à la mortalité nationale de  57%.* L'emploi de nourrices sédentaires résidant dans l'hôpital a pu y contribuer.

    * Les enfants assistés des hospices au 19e siècle

    Le tour de Poitiers

    Alexis a été placé successivement dans trois familles nourricières, selon le mail que j'ai reçu du service des archives de la Vienne:
    - du 6 octobre au  13 novembre 1822 chez Louis Rivière à Frozes, alors un bourg assez important de plus de 1200 habitants, environ 500 habitants de nos jours
    - du 14 novembre 1822 au 3 août 1828 chez Jacques René à Frozes.
    - du 4 août 1828 à 1834 (sans indication de mois) chez M. Martineau à Latillé à 7 kilomètres de Frozes.

    Il a eu la chance d'être placé en nourrice dès le lendemain de son abandon. Cinq semaines plus tard, il change de famille dans le même village et y reste jusqu'à l'âge de 6 ans. A l'âge de 12 ans, "il cesse d'être à la charge du budget départemental" et est placé comme domestique ou apprenti. Les archives ne conservent aucune trace de son devenir après 1834.

    Je ne sais pas si Alexis a été placé en apprentissage. Il semble avoir occupé des emplois tout en bas de l'échelle sociale, domestique, terrassier, jardinier. Le 15 octobre 1850, Alexis, "majeur et naturel", obtient à l'âge de 28 ans l'autorisation de se marier de Messieurs les administrateurs des hospices dont copie de la décision est jointe à l'acte de mariage (ce sont à peu près les termes, l'écriture est difficile à déchiffrer).  Il épouse une jeune femme de vingt ans, orpheline de mère depuis l'âge de trois ans. Elle devient couturière. De cette union naît dix ans plus tard Théodore, ouvrier typographe, puis musicien, mon arrière-grand-père..

     Le tour de Poitiers

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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